Michaël Gibson est critique d'art au International Herald-Tribune. Voici un extrait de la préface qu’il a écrite en 1999 pour le catalogue de l'exposition Stani Nitkowski à la galerie des Filles du Calvaire.

 

Nous avons déjà reçu de telles missives, rédigées par ceux qui ont atteint cette lointaine frontière où la volonté, obstinément, côtoie le désespoir. C’est de là que nous écrivaient Antonin Artaud et Samuel Beckett, le premier pour nous apprendre à quelles conditions le corps psychique est exposé dans ces parages hostiles, le second pour témoigner du destin lamentable que connaît le corps emblématique en notre siècle.
Chez Stani Nitkowski, il s’agit de quelque chose de plus intime encore, mais qui touche toujours à ce même corps - non pas à sa chair et à ses os, comme on serait trop facilement tenté de le croire, mais encore une fois à sa représentation et à son image, de cette interprétation du monde et du corps qui est le fondement de notre connaissance et de notre raison. Tracée en nous par une main énigmatique, elle ressemble bien plus à une révélation qui se développe organiquement, comme en rêve, au fil du dialogue secret qu’entretient l’artiste (même rebelle) avec l’infini de son univers culturel.
C’est dire qu’il ne s’agit pas, dans cette œuvre pleine de corps tourmentés, d’un quelconque organisme biologique, exotique et souffrant, même si nous savons quelque chose de l’état de celui qui l’a peinte. Ces œuvres noires qui paraissent si souvent nous confronter à la nuit profonde d’une noire dépression, témoignent, au travers d’un vécu assumé avec défi (une " ardeur jalouse "), de l’état de notre propre imaginaire sous sa forme la plus douloureuse. Nous ne nous autorisons, en contemplant ces toiles, aucune complaisance voyeuriste de la souffrance d’autrui dans la mesure où c’est manifestement de nous-mêmes qu’il s’agit.
Toutes ces toiles sont charbonneuses (certaines le sont plus que d'autres), toutes dépeignent ou évoquent dans leurs titres même, des souffrances et désastres personnels ou cosmiques: " le Temps des lèpres ", " Ecce Homo ", " Mater Dolorosa ", " la Fin de toute chair est arrivée "... Et l'on déchiffre assurément quelque chose de désespéré dans ces œuvres, mais la peinture, malgré tout, vient au-devant de nous dans cette nuit. Il y a, dans cette nuit, la volonté, l'ardeur, le défi et enfin, comme seule lumière dans ces ténèbres, le plaisir désespéré de peindre. 
L'acte de dire le désespoir s'éclaire donc ici de l'espoir plus profond d'être entendu.

Michael Gibson